Beat Vonlanthen (à gauche) et René Jenny (à droite) discutent des défis et opportunités dans le secteur des sciences de la vie en Suisse.
Beat Vonlanthen (à gauche) et René Jenny (à droite) discutent des défis et opportunités dans le secteur des sciences de la vie en Suisse.
Tous deux Fribourgeois, ils sont des figures incontournables des sciences de la vie en Suisse. René Jenny, président de GRIP-Pharma, ancien président de la European Healthcare Distribution Association (GIRP) à Bruxelles, et Beat Vonlanthen, ancien président de Swiss Medtech (jusqu’en mai 2024), offrent leurs points de vue sur les défis, les opportunités et les espoirs qui animent ce secteur stratégique, tant sur le plan national que régional. À travers cette interview croisée, ils mettent en lumière le rôle de leurs organisations respectives et les enjeux auxquels l’industrie est confrontée.
Comment GRIP-Pharma et Swiss Medtech contribuent-ils au secteur des sciences de la vie en Suisse et dans le canton de Fribourg ?
René Jenny : GRIP-Pharma est l’association des sciences de la vie en Suisse romande. Notre mission est de renforcer la compétitivité de nos membres en facilitant l’échange de connaissances et en défendant leurs intérêts auprès des autorités cantonales et fédérales. Nous nous efforçons également de mettre nos membres en relation directe avec les instances de la santé, tout en assurant leur formation continue au moyen de conférences et de groupes de travail dans des domaines comme l’assurance qualité, les affaires réglementaires ou les affaires politiques.
Beat Vonlanthen : De son côté, Swiss Medtech représente les intérêts de l’industrie des technologies médicales. A l’échelle nationale, l’association soutient plus de 1400 entreprises, qui emploient 70’000 personnes et cumulent un chiffre d’affaires de 20 milliards de francs suisses. Elle agit comme un moteur pour l’innovation technologique en défendant des conditions-cadres favorables, en facilitant l’accès aux marchés internationaux et en encourageant la collaboration entre les différents acteurs du secteur. Des initiatives régionales telles que Swiss Medtech Romandie contribuent à faire de Fribourg et de la Suisse occidentale des acteurs significatifs dans le paysage des sciences de la vie en Suisse.
Quels sont les principaux défis auxquels ces organisations sont confrontées et comment les surmonter ?
Beat Vonlanthen : Le secteur est confronté à des défis de taille, notamment en raison des obstacles administratifs liés à la réalisation des Medical Device Regulations (MDR) de l’Union Européenne. Bien que ces régulations soient essentielles pour garantir la sécurité des produits, elles ont entraîné un ralentissement dans la mise sur le marché des innovations et une pénurie dans l’approvisionnement des produits medtech, en raison du manque d’organismes de certification. En Suisse, l’absence d’un accord institutionnel avec l’Union européenne complique encore davantage les choses, menaçant la compétitivité de nos entreprises sur le marché européen. Nous devons absolument trouver des solutions pour surmonter ces obstacles et garantir notre position.
René Jenny : Il est vrai que la densification de la réglementation freine l’innovation et retarde l’accès des patients à de nouveaux traitements. Ce problème est en effet aggravé par l’absence d’un accord-cadre avec l’Union européenne, qui nous exclut des grands programmes de R&D et qui annule la reconnaissance mutuelle des dispositifs médicaux et des médicaments. Il est donc essentiel d’améliorer rapidement nos relations avec l’UE. De plus, la pression constante sur les prix des médicaments entraîne la disparition de nombreux produits du marché en raison de la non-couverture des coûts de production et de commercialisation, contribuant à la pénurie actuelle en Suisse.
Quelles opportunités d’innovation voyez-vous dans les sciences de la vie en Suisse ?
René Jenny : La Suisse a toujours été un leader dans les sciences de la vie, mais il est impératif de transformer nos avancées scientifiques en solutions concrètes pour le marché. La médecine personnalisée, par exemple, représente une voie prometteuse où la Suisse peut exceller, grâce à notre expertise en biotechnologie et en génomique. De plus, l’intégration croissante des technologies numériques comme l’IA, la télémédecine ou les dispositifs connectés ouvre des perspectives considérables pour améliorer les soins. Le soutien à l’innovation, notamment à travers les incubateurs, les accélérateurs et les financements publics et privés, me semble être une clé dans ce domaine.
Beat Vonlanthen : Je partage entièrement cette vision. Les opportunités d’innovation sont en effet nombreuses, notamment avec la numérisation et l’évolution des matériaux. En tant que diabétique depuis 40 ans, j’ai personnellement observé des avancées incroyables, comme les capteurs de glycémie connectés au smartphone. La miniaturisation des dispositifs médicaux et l’intégration de l’intelligence artificielle représentent des champs d’innovation très prometteurs. Cependant, il est essentiel de développer un cadre légal et éthique solide pour accompagner ces technologies.
Comment la Suisse peut-elle encore renforcer sa compétitivité dans les sciences de la vie ?
Beat Vonlanthen : Il est fondamental d’assurer des conditions-cadres optimales. Les autorités fédérales et les cantons doivent travailler en étroite collaboration avec les entreprises pour stimuler l’innovation. À Fribourg, nous avons déjà posé des bases solides avec des initiatives prometteuses pour le développement des start-ups, et la région est bien positionnée pour devenir un moteur d’innovation dans le domaine. Dans le cadre de Swiss Medtech, nous avons initié une collaboration stratégique avec l’Allemagne et l’Autriche, concrétisée par un accord signé l’année dernière. Cette alliance nous permet d’influencer les régulations au niveau européen, un levier essentiel pour préserver notre compétitivité à long terme.
René Jenny : Je pense également que le renforcement de la collaboration entre le secteur public et privé est essentiel. L’écosystème fribourgeois, avec ses nombreuses hautes écoles, ses campus technologiques, ses programmes de soutien, ses clusters et ses institutions de santé, est un terrain fertile pour des projets conjoints entre la recherche académique et l’expertise industrielle. Accélérer les processus réglementaires en Suisse et augmenter encore les investissements en R&D – déjà élevés – sont des priorités pour renforcer notre position sur la scène internationale. Par ailleurs, une intégration plus franche de la durabilité dans les sciences de la vie pourrait représenter un vrai avantage concurrentiel, par rapport à d’autres acteurs ou pays.
Comment évaluez-vous la collaboration entre l’industrie, les autorités et les institutions académiques ?
René Jenny : En Suisse, la collaboration entre ces différents acteurs est reconnue internationalement et figure parmi les meilleures au monde. Des initiatives comme le Tech Transfert à l’Université de Fribourg illustrent parfaitement la synergie entre l’industrie et les hautes écoles. Pour aller encore plus loin, intégrer davantage les start-ups dans ces projets collaboratifs pourrait accélérer l’innovation, notamment dans le domaine de la santé numérique.
Beat Vonlanthen : Ces collaborations représentent un atout stratégique majeur pour la Suisse. Les entreprises ont un intérêt manifeste à travailler en étroite collaboration avec les universités et les hautes écoles spécialisées pour développer des produits innovants. La promotion active de la création de start-ups, en particulier dans le secteur de la technologie médicale, renforce notre position sur le marché mondial et stimule l’écosystème d’innovation.