JERRY KRATTIGER
JERRY KRATTIGER
Fruit d’un travail interdisciplinaire impliquant partenaires privés et milieux académiques, la nouvelle stratégie économique du canton de Fribourg fait la part belle à la bioéconomie. Entretien avec Jerry Krattiger, directeur de la Promotion économique du canton de Fribourg.
La notion de bioéconomie mérite d’être clarifiée. Quelle en serait votre définition?
On retrouve cette notion de bioéconomie de manière plus ou moins détaillée dans un grand nombre d’études et de concepts récents. Selon la définition relativement large que nous lui donnons, elle englobe l‘ensemble des activités de production, de transformation et de valorisation de la biomasse pour la production de denrées alimentaires, de molécules et de matériaux innovants. Elle couvre ainsi des champs aussi divers que l‘agroalimentaire, le bâtiment et les biotechnologies. Par contre, la bioéconomie n’est pas synonyme d’économie circulaire, bien qu’elle en soit une composante. Elle n’est pas non plus liée au label «bio» très répandu en Suisse et en Europe, qui permet d’identifier les produits issus de l’agriculture biologique.
Pourquoi en faire un axe prioritaire de la stratégie de développement de l’économie fribourgeoise?
Plutôt que de partir sur un scénario de rupture où nous aurions mis toutes nos billes dans les cryptomonnaies, par exemple, nous avons préféré capitaliser sur les forces du tissu économique existant, en assurant une cohérence avec les investissements déjà réalisés. Une spécialisation dans la bioéconomie permet non seulement de nous appuyer sur les piliers de l’économie fribourgeoise que sont la construction – par le biais des biomatériaux et de l’efficience énergétique – et l’agroalimentaire, mais aussi d’inclure et de renforcer des secteurs à fort potentiel comme les biotechnologies ou les produits biosourcés.
C’est un monde d’opportunités…
Il y a une volonté de défendre l’acquis, tout en tirant vers le haut les domaines à valeur ajoutée supérieure. La nature intersectorielle et interdisciplinaire de la bioéconomie offre en effet de belles opportunités de développement et d’innovation, surtout mise en lien avec l’industrie 4.0. Ces deux volets stratégiques se complètent et se valorisent mutuellement. Les logiques d’automation et de robotisation sont d’ailleurs très présentes dans l’alimentaire, auprès d’entreprises comme Nespresso, JNJ Automation ou Frewitt. Il existe un véritable savoir-faire dans le canton de Fribourg.
La frontière entre agroalimentaire et biotechnologies se fait aussi de plus en plus fine…
Les processus de valorisation de la biomasse sont hautement attractifs et se rapprochent en effet de problématiques en lien avec la biochimie ou les biotechnologies. L’extraction de vanilline chez Bloom Biorenewables ou la fermentation de précision chez Alver avec la Golden Chlorella sont des exemples parmi d’autres. De quoi aboutir à des produits particulièrement performants qui permettent de résoudre des questions liées à l’empreinte carbone, à la sécurité alimentaire ou à la dépendance au pétrole. On entre alors dans une dimension sociale et environnementale très intéressante et tout à fait actuelle. Cette logique est aussi valable dans le domaine des matériaux, où les solutions composites biosourcées à base de lin d’une société comme Bcomp rencontrent un intérêt marqué.
L’écosystème fribourgeois dispose-t-il des instruments nécessaires à l’essor de la bioéconomie?
Sans aucun doute. La prédominance historique des secteurs de l’agroalimentaire et du bâtiment permettent d’inscrire la bioéconomie dans la continuité des efforts de promotion entrepris jusqu’à ce jour. Au fil des années, des opportunités stratégiques et des investissements ciblés ont ainsi assuré la création et le développement d’instituts de recherche, de centres de compétences et de sites d’innovation spécialisés. Je pourrais notamment citer le Smart Living Lab, centre de recherche dans le domaine de l’habitat du futur, le Biofactory Competence Center, centre de formation et de recherche dans le domaine de la biopharmacie et des biotechnologies, l’Adophe Merkle Institute, actif dans le domaine des nanomatériaux ou encore le campus AgriCo, dédié à la création de valeur dans les domaines de l’agriculture, de la nutrition et de la biomasse. De plus, les clusters sectoriels Food & Nutrition et Building Innovation favorisent les synergies et mettent l’accent sur le soutien à la compétitivité et à l’innovation, avec un focus particulier sur la bioéconomie.
Que nous réserve l’avenir ?
Fort de cette situation, le canton de Fribourg doit veiller à adopter un positionnement alliant tradition et ambition, où la production de Gruyère d’Alpage AOP côtoie celle de molécules biotech hautement avancées chez UCB Farchim. C’est un défi fantastique, et nous sommes prêts à le relever.